La concordance des temps dans le récit, petit aperçu

Je vais commencer ici par aborder un sujet délicat dans l’écriture, à savoir la fameuse « concordance des temps », qui est une bête noire pour certains. Je vais essayer d’en synthétiser au mieux les éléments les plus utiles.

Car cette concordance est une exigence si l’on veut donner à son texte fluidité alliée à la temporalité. Et le respect de cette concordance marque déjà un certain sérieux dans la construction de son texte. Un éditeur qui recevrait un manuscrit ne la respectant pas conclurait bien sûr au caractère amateur de son auteur.

La concordance des temps désigne le respect de la ligne temporelle de votre récit ; ainsi, c’est savoir utiliser les bons temps aux bons endroits ainsi que les bonnes combinaisons temporelles.

Pour simplifier tout d’abord, disons que dans un récit, un roman, il y a généralement un temps dit « principal » qui en est le fil conducteur. Alors, ceci n’est pas toujours vrai, car bien sûr on peut avoir un manuscrit qui va osciller entre deux périodes, deux moments, avec un temps principal pour chaque période, voire opter pour un temps principal différent pour le point de vue narratif d’un personnage spécifique. Je pense notamment à un roman où un tueur en série deviendrait le narrateur à la 1re personne dans certains chapitres, en alternance avec d’autres chapitres où le point de vue narratif serait un narrateur omniscient à la 3e personne. Mais ne compliquons pas d’entrée de jeu la question. Restons pour l’instant sur le principe que votre récit est guidé par un temps principal.

Ce temps principal marque l’instant 0 de l’histoire, si l’on se représente le temps comme une ligne fléchée où le présent serait le moment 0. Ce temps principal peut être :

  • Soit le présent ;
  • Soit le passé (simple) (possibilité aussi d’écrire au passé composé mais plus délicat à manier).

De de choix découleront les autres temps à employer dans votre récit.

Le plus important est que vous devez vous tenir à ce choix à tout moment. Le premier écueil serait un récit où l’écriture sauterait d’un chapitre à l’autre, voire d’un paragraphe à l’autre, du présent au passé, brouillant totalement la temporalité du récit (et de ce fait ce qu’on appelle l’illusion romanesque, ce qui fait que le lecteur s’immerge totalement dans votre texte, se croyant dans le récit). Le lecteur serait perdu dans ses repères. Un simple exemple :

« L’homme s’extirpe de son véhicule, un pistolet à la main, prêt à en découdre. Il s’approche de l’autre type.

— Hé là, qu’est-ce que vous avez fait ? cria-t-il. »

Dans cet exemple on remarque tout de suite le souci : dans la narration, le texte est au présent (s’extirpe, s’approche) alors que dans l’incise du dialogue, on saute au passé (cria-t-il).

Il faut absolument éviter ce genre d’erreurs qu’il m’arrive parfois de rencontrer. J’ai le sentiment qu’elles surviennent lorsqu’on se force à écrire au présent par exemple, et que, instinctivement, on ressaute au passé par moments, par pur réflexe. Ou inversement d’ailleurs.

Le choix du temps principal, présent ou passé, est un choix qui dépendra de votre texte, de l’atmosphère, du rythme que vous voudrez lui donner. Je ne tenterai pas de vous faire pencher systématiquement pour l’un ou pour l’autre, c’est aussi affaire de goût, d’époque… On a tendance à dire que le passé est le temps de la narration, issu des contes. C’est celui que l’on rencontre encore le plus souvent. Pour ma part, c’est celui que je préfère, que ce soit en tant qu’auteur ou en tant que lecteur. J’aime sa large palette temporelle, entre antériorité et postérité, avec comme gros défaut sans doute une certaine lourdeur des conjugaisons, celles du passé simple (nous marchâmes…) ou des autres (plus-que-parfait, passé antérieur…), quoique je trouve que c’est ce qui fait son charme. Mais j’arrête là car j’entends déjà des voix s’élever pour me taper dessus (soit les défenseurs du passé, soit les défenseurs du présent, irréconciliables ^^)

Le passé (simple) comme temps principal

Commençons donc par le passé comme choix.

Votre temps principal sera le passé simple, allié à l’imparfait. Le premier sert à exprimer l’action bien souvent ; quant au second, on l’utilise pour tout ce qui est plutôt décor, descriptions, actions répétées dans le temps, etc.

« Il se leva comme à son habitude, à 7 h 30. Chaque matin, il avalait ses corn-flakes avec la régularité d’un robot. Aujourd’hui ne dérogeait pas à la règle. Il empoigna le paquet et versa son contenu dans un bol qui traînait sur la table. »

Ce petit exemple montre la différence d’emploi du passé simple et de l’imparfait.

En dehors de ces deux temps, on utilisera :

  • Le plus-que-parfait pour les éléments antérieurs à l’action principale : « Il posa ses yeux sur cet homme qu’il avait déjà vu. »
  • On peut aussi employer le passé antérieur: « Lorsqu’il eut terminé son bol, il le jeta dans l’évier. » Il sert pour les actions passées par rapport au moment 0 de l’action.
  • Pour des actions qui se situent dans le futur, on utilisera non pas le futur de l’indicatif, mais bien le conditionnel: « Le bol jeté dans l’évier, il sauta sous la douche. Plus tard, il irait au boulot. »

Attention à ne pas glisser au passé composé les événements antérieurs à l’action, mais bien au plus-que-parfait.

L’autre souci que pose ce choix temporel, c’est la similarité de la conjugaison de la 1re personne du singulier entre le passé simple et l’imparfait pour les verbes du 1er groupe : je mangeai/je mangeais. Ce sont des homophones.

On ne doit pas écrire : « tous les matins, je mangeai des céréales ». Là, vous utilisez un passé simple pour une action répétitive, habituelle. On veillera bien à écrire « je mangeais des céréales chaque matin. »

Comment faire la différence lorsqu’on hésite ? Eh bien, le plus simple, c’est de passer à la 3e personne : « tous les matins, il mangeait des céréales. » On est bien là dans un imparfait « mangeait », et non « mangea » au passé simple, dont on sent à l’oreille que ça ne collerait pas. C’est l’astuce la plus simple.

C’est une des erreurs que je corrige le plus souvent.

Le présent comme temps principal

Au niveau des conjugaisons – ce qui m’intéresse ici –, le présent est plus simple. Il offrira des temps plus simples à composer.

Le présent sert à exprimer l’action, ainsi que les descriptions :

« Il se lève comme à son habitude, à 7 h 30. Chaque matin, il avale ses corn-flakes avec la régularité d’un robot. Aujourd’hui ne déroge pas à la règle. Il empoigne le paquet et verse son contenu dans un bol qui traîne sur la table. »

J’ai repris le même exemple, et vous voyez que le présent colle bien partout.

Pour des faits antérieurs, on choisira donc le passé composé :

« Hier, il s’est levé à 7 h 15, mais aujourd’hui il a réglé son réveil. Il est debout à 7 heures. »

Attention à ne pas glisser sur du plus-que-parfait pour les actions antérieures. On évitera « il s’était levé » dans l’exemple ci-dessus.

Pour les actions futures, on utilisera le futur de l’indicatif : « Le bol jeté dans l’évier, il saute sous la douche. Plus tard, il ira au boulot. »

L’erreur que je vois fréquemment est la confusion entre le futur et le conditionnel, et notamment à la 1re personne du singulier : je mangerai / je mangerais.

Donc si vous êtes dans un récit au présent, pensez à employer le futur « mangerai » : « aujourd’hui je mange des céréales, mais demain je mangerai des fruits. »

Pour éviter encore une fois la confusion, pensez à passer mentalement votre texte à la 3e personne : « aujourd’hui il mange des céréales, mais demain il mangera des fruits. » On ne dirait pas « il mangerait » (conditionnel), donc le futur s’impose.

Dans tous les cas, songez à être fidèle au temps principal que vous choisirez – présent ou passé –, c’est le message que je souhaite surtout passer ici :-). Vous pouvez vous entraîner à jongler entre les deux en prenant des passages de vos textes et en changeant le temps principal, cela vous fera un bon exercice de conjugaison et de concordance, et vous verrez aussi que, peut-être, le choix que vous avez fait n’est pas le bon ! Que votre récit s’articule mieux au passé, ou au présent, qu’il est plus fluide, plus dynamique, etc. Je pense qu’il ne faut pas choisir le présent par simplicité de conjugaison, votre choix doit être cohérent avec votre récit.

4 comments on “La concordance des temps dans le récit, petit aperçu”

  1. Céline Répondre

    Bonjour, très bon article ! J’aurais cependant une question : si la trame est au passé et à la première personne du singulier. Peut-on utiliser le présent dans ce cas : « Je n’avais pas imaginé que la situation aurait pu s’aggraver de la sorte, tout est devenu confus. À ce moment-là, je crois bien que j’ai pleuré » ? Est-ce juste au niveau de la concordance des temps ?
    Merci d’avance ! J’ai souvent ce problème sur un récit au passé lorsque j’utilise des pensées personnelles sur des faits passés (« je pense », « je crois »… etc).
    Bonne journée !

    • nicolaskoch Répondre

      Bonjour,
      Merci pour votre commentaire. Alors oui vous pouvez car croire se rapporte davantage à l’instant présent au moment où vous racontez. Cela n’aurait pas le même sens si vous écriviez « A ce moment-là, je crus avoir pleuré ». Cela indiquerait que vous avez cru au moment des faits et non au moment où vous racontez. Quand vous dites « je crois bien que j’ai pleuré », vous croyez à l’instant de la narration, et non des faits au passé. Je ne sais pas si je suis clair…

      • Céline Répondre

        Bonsoir,
        Merci pour votre réponse ! C’est très clair ! La concordance des temps est vraiment ma bête noire donc c’est toujours intéressant de pouvoir lire ce genre d’article pour rappeler les bases. Bonne continuation !

  2. Adrien de Bizemont Répondre

    Bonjour, merci pour votre article très intéressant.
    J’ai une question : si la narration est au présent, peut-on utiliser l’imparfait et le plus que parfait pour exprimer des événements passés ou cela doit forcement être le passé composé ?
    Dans le cas d’un court flashback dans mon récit au présent, le passé composé semble plus plat, moins naturel et ne donne pas suffisamment l’impression de « temps passé ».

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